Modèles et stéréotypes féminins en 2019, où en sommes-nous?
Un choix à contre-courant
Selon moi, les facteurs qui pourraient inciter les filles et les femmes à choisir une carrière en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) sont le développement d’un intérêt et d’un sentiment de compétence précoces pour ces sujets et l’exposition à des modèles féminins visibles et accomplis.
Les stéréotypes demeurent présents dans de nombreuses sphères de notre société : prendrai-je le risque d’offrir à mon neveu un ensemble de fabrication de colliers, et à ma nièce un jeu de construction? Volontairement ou non, le marketing renforce le lien entre certains intérêts ou activités et le sexe auquel ils sont traditionnellement associés. Si les filles sont souvent moins exposées par leurs parents à des travaux manuels ou de réparation, peuvent-elles développer autant que les garçons un sentiment de compétence par rapport à des métiers techniques?
Le milieu scolaire est généralement égalitaire : il expose les jeunes aux mêmes activités et travaux, peu importe leur sexe. Les jeunes filles sont très intéressées par les sciences et sont même plus nombreuses que les garçons dans les programmes de sciences naturelles du cégep et du collège depuis le début des années 2000[1]. Elles représentent toutefois moins de 30 % des étudiants en génie et choisissent donc d’autres domaines scientifiques, comme les sciences de la santé.[2]
Je suis convaincue que le faible nombre de modèles féminins en génie dans l’entourage d’une jeune femme ne l’encouragera pas à se projeter dans cette carrière. Non seulement le nombre de femmes susceptibles d’influencer les jeunes filles à les y rejoindre est relativement faible, mais les « superstars » scientifiques féminines sont encore rares. Après tout, à part le curie (nommé en référence à Pierre et Marie Curie), quelle unité, constante, ou équation porte le nom d’une femme?
Gravir les échelons
Lorsque je discute avec ma fille aînée, qui commence ses études en génie, elle m’affirme que les étudiantes ne perçoivent pas vraiment de barrières particulières aux femmes en génie. Il en était de même lorsque j’ai commencé mes études en 1992. Mais la réalité est toutefois que parmi les femmes qui choisissent le génie, peu atteignent les échelons supérieurs de leur entreprise. Je constate que la probabilité qu’une femme gravisse ces échelons jusqu’à un rôle de direction dépend du nombre de candidates, des occasions de développement qui lui sont offertes et de son ambition ou désir d’agrandir son cercle d’influence et ses responsabilités. Les entreprises doivent offrir des programmes de développement de carrière qui tiennent compte des préjugés inconscients et permettent aux femmes de mettre en valeur leurs talents et ambitions.
Quant à l’ambition, celle-ci vient du caractère de chaque individu, de sa perception des avantages et inconvénients d’une fonction dans l’entreprise et de sa conviction de pouvoir être à la hauteur de cette fonction du fait de ses capacités professionnelles, et de ses contraintes ou aspirations personnelles.
Rôle dans la famille
Que l’on parle de la grossesse, du congé parental ou du fardeau des responsabilités familiales, la femme vit encore typiquement plus de contraintes sociales que l’homme[3], ce qui influence grandement son parcours professionnel. Et en plus de devoir concilier davantage les responsabilités professionnelles et familiales, de nombreuses femmes sont confrontées à la « pénalité de la maternité ». En effet, les recherches démontrent que les femmes connaissent une baisse de 4 % de leur capacité de gain pour chaque enfant qu’elle a, alors que les hommes connaissent une augmentation moyenne de 6 % lorsqu’ils deviennent père.
Pour ma part, en plus du partage des responsabilités familiales avec mon conjoint, la possibilité de travailler à temps partiel lorsque mes enfants étaient en bas âge et les horaires flexibles m’ont grandement aidée à concilier travail et famille. Ces mesures peuvent donc influencer positivement l’ambition qu’une femme se permettra d’avoir quant à sa carrière.
La dynamique de groupe
Aujourd’hui, le milieu de l’ingénierie demeure majoritairement masculin, en particulier dans les postes de direction. Plusieurs entreprises, telles que Hatch, pour qui je travaille depuis 23 ans, investissent dans le développement, le mentorat et l’accompagnement des femmes dans leur carrière afin de rompre avec l’héritage non inclusif des industries lourdes ou techniques.
Est-ce assez pour convaincre la femme qu’elle y a sa place? Je crois qu’il est important de soutenir nos collègues féminines pour qu’elles se créent un réseau professionnel efficace. Les membres d’un groupe de leaders d’une entreprise peuvent tisser entre eux des liens forts dépassant les interactions associées à leurs rôles respectifs. À quel point une femme peut-elle se sentir partie intégrante d’un tel « boys club »? Il est donc aussi impératif que les entreprises veillent à promouvoir l’inclusion des femmes leaders afin de permettre à ces liens essentiels d’exister.
Conclusion
Je suis convaincue que la présence de femmes en ingénierie est un facteur de succès pour les entreprises en ingénierie, par la diversité des idées que les femmes amènent et par leur apport au bassin des talents disponibles. Et ce à tous les niveaux d’une entreprise, incluant la direction.
Les universités et l’industrie mettent de plus en plus d’emphase sur le recrutement de candidates, mais les progrès sont lents, étant donné les stéréotypes toujours présents dans la société. Il faut accélérer les changements grâce à des objectifs ambitieux, comme celui que Hatch s’est fixé : atteindre 40 % de femmes dans l’entreprise en 2023. Pour attirer plus de femmes en génie et ultimement, dans les rangs supérieurs de la direction des entreprises, nous devons mettre en valeur des modèles féminins en sciences, en génie et en direction d’entreprise, afin de convaincre les femmes que la réussite autant professionnelle que personnelle est à leur portée et qu’elles peuvent donc nourrir les plus grandes ambitions.
[1] Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM), « Rapport annuel année 2016-2017 », novembre 2017. Tableau 2. Szczepanik, Geneviève et al., « L’orientation des filles vers des métiers non traditionnels en sciences et en technologies », Revue Interventions économiques, numéro 40, 2009.
[2] Hango, Darcy (Statistiques Canada), « Les différences entre les sexes dans les programmes de sciences, technologies, génie, mathématiques et sciences informatiques (STGM) à l’université », décembre 2013. Et Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (CAPRES), « Filles en sciences et génie | Résultats de recherche », février 2019.