La voie vers l’atteinte de l’objectif zéro défaut : comment mener votre entreprise à la résilience
Faire face aux imprévus
La combinaison d’installations complexes et énergivores et de systèmes de travail humains faillibles est la recette d’un désastre annoncé. Des chercheurs en sciences de la sécurité considèrent la résilience comme une nécessité pour gérer ce type de risque.
Les imprévus peuvent prendre de nombreuses formes. Ce sont des phénomènes transitoires, comme un tremblement de terre, qui ont déclenché la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi en 2011. La meilleure stratégie consiste à atténuer les conséquences de ces événements de type cygne noir, car les stratégies de prévention (autres que de situer les installations nucléaires à l’extérieur des zones sismiques) sont limitées. D’autres phénomènes transitoires, comme la pandémie mondiale actuelle, peuvent temporairement détourner l’attention de la planification proactive vers les mesures correctives immédiates.
Les tragédies industrielles énumérées dans l’introduction sont moins liées à des événements transitoires qu’à l’ignorance des tendances. La faiblesse commune à bon nombre de ces exemples est la normalisation de la déviance (terme de Diane Vaughan tiré de l’enquête sur le désastre de la navette spatiale Challenger)[1]. D’autres chercheurs en sécurité l’appellent simplement la dérive.
Qu’est-ce que la dérive et pourquoi est-il important pour votre entreprise d’en tenir compte?
Jens Rasmussen[2] a changé le paradigme de la science de la sécurité. Plutôt que d’être obsédé par l’erreur humaine en première ligne comme cause des accidents, il a élargi la portée du paradigme pour examiner de façon plus générale les pressions organisationnelles sous lesquelles le travail est effectué.
La nécessité d’éviter la ruine économique conduit inexorablement à une volonté de contenir et de réduire les coûts. L’augmentation de la charge de travail (exigée par la nouvelle législation, notamment) incite les travailleurs à prendre des raccourcis. Ces pressions continues poussent lentement mais sûrement les systèmes de travail vers la défaillance. La baisse des exigences en matière d’efficacité est donc inévitable.
Comment remédier à la dérive?
Un effort compensatoire est requis pour lutter contre la dérive. Rasmussen a lui-même établi l’adoption d’une solide culture de sécurité des procédés comme contre-mesure.
Les leaders façonnent la culture organisationnelle. La culture façonne les comportements des gens. Une culture positive de la sécurité des processus s’attaque directement à la dérive en reconnaissant que les gens sont dirigés, que le travail est géré et que les processus sont contrôlés. Cela contraste avec la vision plus commune, mais néfaste selon laquelle il suffit de contrôler les gens, le travail et les processus.
Un lien bien défini doit exister entre ces trois éléments pour créer une culture de la sécurité des procédés. Les acteurs humains du système doivent être liés aux éléments suivants :
- Les complexités des processus qu’ils influencent
- Les personnes des différentes équipes qui collaborent
- La mission de leur organisation, à l’échelle locale et mondiale
Créer un lien avec le processus
La sécurité des processus n’est pas une caractéristique innée des entreprises.Il ne s’agit pas de la situation par défaut que l’erreur humaine viendrait ensuite mettre en danger. La sécurité des processus doit être acquise.
Rasmussen[2] encourage les responsables de systèmes de travail à forte intensité de processus à sensibiliser les travailleurs aux limites du fonctionnement sécuritaire dans le cadre duquel ils travaillent. La solution de rechange la plus simple et la moins efficace consiste à augmenter légèrement et de façon arbitraire les marges de sécurité.
« L’approche générale la plus prometteuse en matière d’amélioration de la gestion des risques semble être de cerner de façon explicite les limites du fonctionnement sécuritaire et de déployer des efforts pour rendre ces limites visibles aux acteurs et leur donner l’occasion d’apprendre à composer avec elles. En plus d’améliorer la sécurité, le fait de rendre les limites visibles peut également accroître l’efficacité du système en rendant les activités qui se déroulent à proximité de ces limites plus sécuritaires qu’en exigeant des marges excessives susceptibles de se détériorer de façon imprévisible sous pression. » [2]
Il est préférable de comprendre la nature des dangers qui menacent l’entreprise. Cette compétence en sécurité des processus est une caractéristique clé des systèmes de gestion de la sécurité des procédés.
Créer un lien avec les gens
Connaître le rôle qu’il joue dans un ensemble complexe et interdépendant de processus permet au travailleur de reconnaître sa contribution à la prévention des brèches de sécurité qui pourraient entraîner une série d’événements et déboucher sur une perte de contrôle.
Cette prise de conscience accrue de l’interdépendance (entre les quarts de travail et avec les partenaires en amont et en aval, par exemple) peut réduire les comportements bornés et mener à une appréciation plus profonde du fait que la réussite de chacun dépend de la réussite de tous.
Cela contribue à cultiver un objectif sincère qui permettra à différents acteurs en amont et en aval de réaliser qu’ils partagent une cause commune. Il est donc nécessaire de mesurer la réussite d’une manière qui n’optimise pas seulement la performance locale au détriment des résultats globaux.
Établir des liens avec les objectifs
La mission d’une entreprise doit comprendre des engagements audacieux à atteindre l’objectif aucune blessure ni aucun dommage afin d’établir des liens entre les travailleurs et de les intégrer à une culture organisationnelle.
La mission d’une entreprise doit répondre aux questions « pourquoi existons-nous? » et « pourquoi faisons-nous ce que nous faisons? ». Elle doit formuler ses réponses en utilisant un langage inspirant et ancré dans les valeurs. Elle doit décrire les intentions significatives avec lesquelles les gens peuvent établir des liens.
Trop d’entreprises n’ont pas d’énoncés de mission ou ont des énoncés nébuleux et peu inspirants. Pensez à des intentions floues comme « maximiser la richesse des actionnaires ». Cet énoncé vide n’aide pas les gens à comprendre les valeurs qui orientent votre existence en tant qu’entreprise. Il énonce simplement la fonction évidente de toutes les sociétés à but lucratif. Il ne répond pas au pourquoi.
En revanche, un client actuel utilise des énoncés comme « développement durable », « excellence et passion pour les gens et la planète » et « la vie compte plus que tout… faites ce qui est juste ». Ces énoncés d’objectifs touchent et motivent parce qu’ils sont imprégnés d’un ensemble de valeurs humaines auxquelles on peut s’identifier.
En articulant clairement la mission de votre entreprise, vous exercez également des pressions sur les dirigeants pour qu’ils prêchent par l’exemple. Pour être réellement efficaces, les travailleurs doivent voir leurs dirigeants soutenir ces aspirations de manière cohérente et concrète.
Les défis de la création de liens pour atteindre la résilience
Selon mon expérience, il s’agit là de certains des domaines qui nécessitent le plus d’efforts pour établir des liens. Voici quelques moyens d’y arriver :
- Le cheminement vers une solide culture de sécurité des processus doit être mené par les dirigeants
- Un travail bien conçu exige une attention considérable (penser-planifier-faire-vérifier-agir).
- Un travail bien conçu exige conformité et respect des plans, et doit être géré avec diligence
- On ne peut jamais tenir pour acquise l’atteinte de l’objectif zéro défaut parce qu’elle doit être revue chaque heure de chaque journée.
Cependant, les avantages de la lutte contre la dérive qui peut mener à une catastrophe sont évidemment considérables. Aussi, nous devons constamment chercher des moyens d’améliorer la préparation et les mesures de prévention dans les industries à forte intensité de processus qui peuvent s’adapter à l’évolution rapide du paysage commercial.
Avec la bonne approche en matière de sécurité des procédés, nous pouvons éviter les catastrophes industrielles. Mais surtout, nous pouvons sauver des vies et protéger notre planète. L’avenir de nos entreprises et de nos communautés en dépend.
Références
-
1. Vaughan, Diane. The Challenger launch decision: risky technology, culture, and deviance at NASA, University of Chicago Press, 1996. ISBN 978-0-226-85175-4
2. Rasmussen, J. « Risk management in a dynamic society: A modelling problem », Safety Science, 1997, vol. 27 (2-3), p. 183-213. https://doi.org/10.1016/S0925-7535(97)00052-0